A son retour à Francières en Octobre 1940, Joseph (c’est le nom qu’à pris l’abbé Le Pévédic ) forme un groupe de résistants (ils seront jusqu’à 50) dans le secteur Francières-Hémévillers. Le relief de la région ne permet pas d’attaque frontale avec l’ennemi, d’autant plus que des représailles envers la population civile seraient à craindre alors dans un premier temps, leur but sera de surveiller ceux qui pourraient être tentés par une certaine collaboration avec l’occupant et aussi de nuire au maximum au ravitaillement des Allemands.
Mais en fait la récupération d’armes et de munitions abandonnées lors de la débâcle avait commencé plus tôt. Certains qui étaient alors de jeunes adolescents, c’est le cas de Philippe Doisy né en 1929, neveu de la famille Benoit, se souviennent avoir transporté des armes avec l’abbé dès le mois d’ Octobre 1940.
Au grand désespoir de bien des paroissiens, il maintient l’heure française pendant tout le conflit. Elle tombe deux heures après l’heure allemande imposée par l’occupant. Ceci implique des réunions à des heures tardives et la grand messe du Dimanche qui tombe à l’heure du déjeuner. De 1940 à 1944, l’abbé maintient son activité sacerdotale (en plus de ses autres activités) fête de la moisson, des enfants, de la sucrerie, etc…les processions bien qu’interdites comme tout rassemblement, seront elles aussi maintenues dans les trois paroisses. Mais à plusieurs reprises les gendarmes viennent vérifier à la sucrerie que les réunions de JAC comme tous les mouvement de jeunesse ont bien été supprimées
Depuis Août 1940, des prisonniers français sont regroupés au camp de Royallieu près de Compiègne. Dans la journée ils vont travailler dans des fermes ou entreprises de la région où ils sont nourris. Trente d’entre eux travaillent à la sucrerie de Francières, où des soldats allemands les déposent le matin et les récupèrent le soir avec leurs camions. Mais le 6 Décembre, les gendarmes transmettent l’ordre de les renvoyer au camp dès 19 heures. Deux jours plus tard, on apprend qu’ils vont être dirigés vers l’Allemagne. Un grand nombre alors tente de se sauver dont environ 80 sont récupérés par les habitants et les cheminots. L’abbé leur donne alors des feuilles de démobilisations qu’il avait récupérées à Riom et de fausses cartes d’identité, plus de 20 pourront ainsi éviter le départ en Allemagne.
En Décembre 1940 et Janvier 1941, les incursions de soldats allemands dans les fermes se multiplient, alors qu’une récente circulaire de la Kommandantur interdit à la troupe occupante d’aller se ravitailler en beurre, œufs, volailles, etc dans les fermes. Fort de cette « interdiction » Joseph part en chasse après les Boches qui pensent gruger les pauvres gens attirés par l’appât du gain. Ainsi un jour apprenant qu’ils sont sur Francières, il se lance à leur poursuite sans parvenir à les rattraper. Dans une dernière ferme, la fermière lui avoue avoir vendu quelques œufs pour voir la paix et lui apprend qu’ils sont partis en direction de Montmartin. Il les trouve en effet dans cette localité et comme ils descendent de voiture, Joseph sort calmement un carnet de sa poche et note ostensiblement le numéro de la voiture. Puis à la suite des soldats, entre dans la maison où le paysan qui n’a pas « tout compris » s’apprête à remplir d’œufs le panier des Allemands. L’abbé alors lui propose d’acheter les œufs pour les pauvres qui n’en ont pas, le pauvre homme ne sait plus quelle contenance il doit prendre, d’autant plus que l’abbé l’accuse d’être un profiteur et un mauvais Français. Tout ceci en présence de nos deux allemands qui comprennent un peu notre langue.
Une heure plus tard, les Allemands sont à la recherche d’un « homme en noir » et finissent par le découvrir. Commence alors une orageuse discussion où il sera question d’emprisonnement et de « fusillage ». Mais l’abbé reste calme et leur répond que si il a noté l’immatriculation du véhicule c’est tout simplement pour le rapporter à la Kommandantur qui les fera sûrement enfermer pour ne pas avoir respecté leur propre règlement. Ils essaient alors de l’emmener de force vers leur voiture, mais n’y parviendront pas et c’est rouge de colère qu’ils prennent la direction de Compiègne. Ceux-là au moins, on ne les revit plus dans la région de Francières. C’est en souvenir de cette appellation de « l’homme en noir » que plus tard Joseph changera son nom de guerre en « le Nègre ». Ce qui à l’époque n’avait aucune connotation raciste.
Le groupe s’organise, son terrain d’activité s’étend jusque Clermont et en 1943 il est rattaché à l’OCM Organisation Civile et Militaire, qui deviendra par la suite FFI. Ce groupe travaille aussi beaucoup avec la Résistance Fer : mouvement composé essentiellement de cheminots qui s’était spécialisé dans le renseignement des mouvements de l’armée allemande et le sabotage des lignes de voies ferrées. Le réseau étant dépourvu de liaisons radios, celles-ci passent par le réseau Notre-Dame du colonel Rémy.
Église de Francières état actuel. A droite le toit du chœur sous lequel se cachèrent plusieurs personnes recherchées par la Gestapo
LES RÉFRACTAIRES AU STO
L’abbé Le Pévédic s’adresse ainsi à ses jeunes : »méfiez-vous des Boches et de leurs manières bonasses, ils sont faux ! ne les craignez pas non plus, nous en verrons un jour le bout et les chasserons. Ce qu’ils ont fait subir aux pays occupés lors de l’autre guerre, ils vont encore nous le faire subir, ils n’ont pas changé. Un enrôlement obligatoire pour le travail en Allemagne se fera sûrement, ne partez pas venez me voir, nous ne sommes pas condamnés aux travaux forcés ».
Passage sous la voute de l’église donnant accès à la « cache »
En Juin 43, les jeunes de la classe 42 (nés en 1922) sont convoqués pour le STO en Allemagne. Ils se rappellent les paroles de Joseph et viennent le trouver pour savoir la conduite à tenir. Le 23 Juin Roger De Brouwer quitte tristement Francières pour Compiègne avec deux valises, l’une d’elles est déposée chez Mr le curé de Vénette ( elle est récupérée le lendemain par l’abbé Le Pévédic ) Et avec la seconde valise il descend sur les rives de l’Oise, s’arrête à la hauteur de Jaux où il écrit une lettre d’adieu à ses parents leur disant qu’il préfère se noyer plutôt que de travailler pour les Boches. Il abandonne sa veste, sa valise et ses papiers.
Le tour est joué, la nuit venue, Roger reprend tranquillement la route de Francières où il sait qu’un abri sûr l’attend jusqu’à la Libération. Quelques jours plus tard dans l’église de Francières, l’abbé Le Pévédic célèbre un service funèbre solennel pour « les victimes civiles de la guerre ». Toute la paroisse est venue car bien sûr tout le monde pense que c’est pour Roger et on est recueilli en pensant à celui qui a préféré mourir plutôt que de se mettre au service de l’occupant. En fait Roger est là haut, sous les combles de l’église et il assiste à ses obsèques par un trou dans le plafond.
Le 2 Juillet plus tard Paul Leviel un ami est convoqué à son tour, pas possible de recommencer le coup du suicide, les Allemands découvriraient la supercherie. Alors il part pour Paris, mais à la gare du Nord, ses compatriotes qui n’ont pas eu son courage ou celui de Roger et s’apprêtent à partir en Allemagne, ne le voient plus et pour cause lui aussi a rebroussé chemin et frappe à son tour à la porte du presbytère de Francières et rejoint son ami Roger sous les combles. Quelques jours après, ses parents reçoivent une lettre de Paris dans laquelle il leur dit qu’un officier allemand rencontré à Paris lui a proposé de travailler pour l’Organisation Todt où il serait bien mieux qu’en Allemagne. Puis vient une lettre de Brest dans laquelle il raconte à ses parents qu’il ne comprend rien qu’on le trimbale tous les deux jours dans une ville différente de la côte bretonne, qu’il ne fait rien, qu’il va très bien, mais que voyageant sans arrêt, il ne peut leur donner de ses nouvelles. Nous l’avons compris, c’est l’abbé Le Pévédic qui avec ses connaissances en Bretagne a fait poster toutes ces lettres, d’autres suivront…
René, un autre ami appelé par le STO part dans le Nord revient très discrètement et se cache dans la cave où il se consacre à la culture des champignons. Résistant efficace, il sera un des principaux acteurs de la libération de Francières.
On atteint le clocher par un escalier particulièrement raide, mais ce n’est pas dans le clocher que les protégés de l’abbé le Pévédic se cachent. Après avoir passé une ouverture on suit une grande poutre longitudinale au-dessus du plafond de l’église, en se tortillant on franchit des poutres axiales et latérales et une seconde ouverture donne accès à une salle située juste au-dessus du chœur.
L’escalier et la trappe par où passaient les protégés de Mr le curé
Il s’agit en fait d’une simple cellule obscure juste sous les toits. On y étouffe en été, on y gèle en hiver à un tel point qu’en Octobre 1943 les occupants des combles durent se cacher au presbytère durant quelques semaines. Le plancher bombé épouse la voûte du plafond du chœur. Des travaux d’entretien ont été réalisés dans les années 90, Mr Varloteaux y trouva une lampe en cuivre et de la vieille paille sur laquelle les occupants avaient dormi plusieurs mois.
Pour y parvenir il fallait être acrobate et François Le Pévédic sensible au vertige ne s’y risqua jamais. Lorsqu’il apportait du courrier ou du ravitaillement, le tout était déposé dans un confessionnal. L’abbé se dirigeait ensuite vers l’harmonium où il jouait « Au clair de la lune » et se retirait sans dire un mot. Là-haut on savait que la voie était libre. Descendre le « cousin Jules » c’est-à-dire le seau hygiénique, n’était pas une sinécure mais le tour de corvée était scrupuleusement respecté par les occupants des lieux.
En dehors des réfractaires au STO, la cache servi aussi à des résistants poursuivis par la Gestapo comme Mr Georges Fleury et deux de ses enfants, à un agent de liaison et aussi à des aviateurs alliés dont l’avion avait été abattu et se cachaient en attente d’être rapatriés en Angleterre.
Le 15 Novembre 1943, l’abbé Le Pévédic est nommé curé de Gournay-sur-Aronde, tout en conservant les paroisses de Francières, Hémévillers et Montmartin. Il doit y aider le vieux curé le chanoine Bailler qui d’ailleurs décèdera peu après. Mais tout ce temps il gardera le presbytère de Francières où il résidait plusieurs jours par semaine, se déplaçant toujours à vélo.
Dans l’arrière cuisine du presbytère il y avait un placard à fond coulissant, il donnait accès à un souterrain creusé en 1944 par les locataires de l’église et du presbytère comme issue de secours. Il débouchait dans un jardin voisin appartenant à la famille Plessier. Un piège avec deux grenades était disposé de façon à se déclencher après le passage des fuyards stoppant ainsi les poursuivants. Il n’a jamais été nécessaire de s’en servir et le boyau fut rebouché en 1945 par des prisonniers allemands.
Le presbytère et l’église, isolés à l’extrémité du village facilitaient la circulation discrète des résistants, d’autant plus que Francières n’était pas occupée en permanence, les Allemands se contentant de faire des patrouilles assez fréquentes.
Dans le grenier du presbytère étaient entreposées des armes parachutées à partir d’août 1944, dans l’autre partie du grenier sur des planches, étaient le sucre et la viande venant d’abattages clandestins fournis par Mr Benoit. Le braconnage pouvant compléter le menu.
La sœur du maréchal Leclerc vint un jour faire l’inventaire des armes disponibles : il y en avait partout, outre l’armement disparate récupéré en 1940, on avait des explosifs dans la chambre du curé, des armes automatiques dans celle de la gouvernante, des fusils anglais, des carabines américaines USM 1, des pistolets mitrailleurs Sten, Thomson et Marlin, deux fusils mitrailleurs et même une mitrailleuse ! Le tout en attente du grand jour.
LES AVIATEURS ALLIES
Le 8 Février 1944, une forteresse volante B 17 avec dix hommes à bord est attaquée par la chasse allemande au-dessus d’Abbeville alors qu’elle se dispose à accomplir une mission sur Francfort. L’avion allié est touché alors qu’il est à 6000 mètres d’altitude, le pilote Doris Beam n’arrive plus à contrôler son appareil qui perd de l’altitude et la radio est en panne. L’ordre est donné de sauter, mais seuls trois hommes s’exécutent, deux seront récupérés par la population, le copilote est retrouvé mort. Le canonnier coincé dans sa boule est dégagé par ses coéquipiers, il saute à son tour et blessé, sera fait prisonnier à l’hôpital, l’avion se déleste de ses bombes et s’écrase en essayant de se poser près de Monchy-Humières. Les Allemands arrivent rapidement : il reste six hommes à bord qui miraculeusement survivent au crash. Le pilote qui est blessé est trainé jusqu’à la route par deux coéquipiers qui se rendent à une voiture allemande. Personne n’a remarqué deux silhouettes qui se sont extraits par l’arrière de l’avion, ils s’éloignent en longeant les haies et arrivent à 400 mètres de là près du cimetière. Il s’agit de l’américain David Helsel qui en est à sa dixième mission et du Canadien John Bernior.
C’est à ce moment que deux jeunes filles de Monchy : Micheline et France Vervel se rendent sur la tombe de la famille. Elles aperçoivent un pied qui dépasse de la cachette. Les aviateurs ont de la chance, la famille a déjà caché chez elle des patriotes recherchés par l’occupant. La famille est prévenue et lorsque le moment sera un peu plus opportun les frères de Micheline et de France viennent chercher les aviateurs et les guident jusqu’à la maison familiale où ils sont pansés, réconfortés et se cacheront pendant trois jours.
Après quoi l’abbé Le Pévédic vient les chercher et les cache dans son presbytère durant vingt et un jours. De là ils sont transférés de nuit à Cressonsacq dans la ferme Doisy et huit jours plus tard on les conduit jusque les Cotes du Nord d’où ils sont rapatriés en Angleterre par les hommes du colonel David Birkin, le papa de Jane.
Les deux aviateurs ( le deuxième à gauche et le troisième à partir de la droite ) partent revoir l’avion dont ils se sont sortis miraculeusement
Outre les possibles dénonciations, les aviateurs alliés habitués aux altitudes souffraient souvent de claustrophobie et de dépression nerveuse, ils pouvaient alors devenir insupportables. Il fallait donc les changer de cachette régulièrement.
Avant de quitter Francières, un après-midi, le 20 Février 1944, on s’est occupé de leur trouver deux bicyclettes et immergés dans un groupe de cyclistes, on les conduit jusqu’à leur avion qu’ils désirent revoir avant de rentrer en Angleterre. Il est gardé par des soldats allemands qui empêchent de s’en approcher, mais le groupe pourra voir cependant ce qu’il voulait : la place occupée par David et John dans l’appareil. Un jeune a même le toupet de demander aux gardiens ce que sont devenus les occupants » Ah gross malheur pour eux, ils sont tous morts ! « . Pour faire le gugusse, un autre accompagnateur propose alors aux Allemands de poser avec le groupe devant l’avion, mais ceux-ci refusent à regrets car il est « verboten » aux Français de photographier un soldat allemand… S’ils avaient su !
L’abbé Le Pévédic aura toutefois des sueurs froides avec ses deux aviateurs qui s’obstinaient à rouler à gauche « avec leurs idioties on aurait pu se faire repérer… »
Photo prise au moment du départ des aviateurs pour l’Angleterre de gauche à droite : Roger De Brouwer qui assista à ses propres « obsèques », David Helsel l’américain, l’abbé Le Pévédic et John Bernior le Canadien
Dans le cimetière de Monchy une plaque du Souvenir Français rappelle cet épisode. Le 24 Juin 2000 David Helsel est revenu en pèlerinage en Picardie avec son épouse et ses enfants . David et John sont aujourd’hui décédés, mais leurs familles envoient chaque année leurs vœux à Micheline qui se fait un plaisir de leur répondre.
LES PRISONNIERS RUSSES
La gare d’Estrées était la cible de fréquents bombardements et le long de la route de Francières on en voyait plusieurs de plus de 200 kilos qui n’avaient pas explosé. Des prisonniers russes sont réquisitionnés pour les évacuer. La famille Benoit, quelques amis et Mr le curé se rendent sur place, les Russes sont sur les voies de chemin de fer et …portent l’uniforme rayé des déportés avec la lettre R peinte en rouge dans le dos. Avec l’accord des sentinelles qui elles aussi profiteront du repas, on distribue aux prisonniers de la soupe, des œufs durs, du bourguignon et des cigarettes. Le lendemain les bienfaiteurs sont refoulés, ils reviennent l’après-midi et assistent au déterrage d’une bombe qui sera trainée par un camion ! La nourriture est alors acceptée et les Russes repartent au camp assis sur une bombe qui vient d’être désamorcée. Une semaine plus tard quatre d’entre eux seront tués par une explosion à Montdidier.
LES TICKETS , LE TABAC
Le 28 Juin 1944, l’ordre est donné de récupérer des tickets de ravitaillement qui pourraient être ensuite utilisés par les maquisards. Le secrétaire de mairie va comme d’habitude faire sa distribution à la sucrerie.
Deux hommes se postent au coin du bois de Francières, là où « Joseph » les a assignés, puis lui va faire le guet plus en avant afin de vérifier que le secrétaire prend bien la bonne route. Dès qu’il approche les deux hommes armés d’un révolver et le visage masqué, bondissent au milieu de la route et lui réclament son précieux chargement. Un ouvrier qui rentre de son travail passe par là et veut intervenir, un revolver pointé sur lui on lui conseille de rentrer bien vite à la maison.
Quand au secrétaire de mairie, mort de peur et on le comprend, il est ficelé. Pas trop fort car l’abbé a bien recommandé d’éviter la violence. On lui explique que c’est pour son bien, car il pourrait être accusé de s’être laissé faire, on connait ses sentiments bienveillants vis-à-vis de ceux qui luttent contre l’occupant. Il sera d’ailleurs libéré quelques minutes plus tard par un passant.Les tickets eux sont distribués dès le lendemain dans le maquis.
Mais le maquis justement a aussi besoin de tabac…Le bureau de tabac de Lachelle doit être ravitaillé quelques jours plus tard dans l’après midi. Trois hommes sont désignés pour intercepter la livraison. Hélas le tuyau n’était pas bon, la livraison a eu lieu le matin et il ne reste plus que 31 paquets qui seront payés intégralement le surlendemain par l’abbé. La quantité est jugée insuffisante pour le maquis et sera reversée aux réfractaires de Francières. Les maquisards attendront quelques jours de plus.
LES LIGNES TÉLÉPHONIQUES
Juillet 1944, une ligne téléphonique allemande relie Compiègne au terrain d’aviation de Beuvraignes-Amy à cheval sur la Somme et sur l’Oise. Les dirigeants de l’OCM de Compiègne demandent de saboter cette ligne. Joseph prend deux hommes avec lui, la nuit venue ils se rapprochent de la ferme de Portes en bordure de la route nationale. René un des réfractaires caché à l’église, grimpe en haut d’un poteau et commence à sectionner les fils les uns après les autres ce qui fait beaucoup de bruit car ils sont assez épais. Alors, pendant que les autres font le guet, Joseph scie trois poteaux qui s’écrasent dans un champ de blé. Les fils sont alors sectionnés en petits morceaux. Il faudra plusieurs jours aux Allemands pour réparer les dégâts. Un pli est acheminé le lendemain à l’État-major de la Résistance : « travail exécuté dans d’excellentes conditions «
Quelques mois plus tôt en Mars de la même année, c’est la ligne souterraine Paris-Lille qui devait être sectionnée, mais alors que huit hommes étaient en plein travail, surgit un camion allemand qui va stationner juste en face de nos terrassiers. Pendant un bon quart d’heure ils se cachent derrière le talus, le doigt sur la détente de leurs pistolets mitrailleurs. Tout finira bien, mais il est décidé d’abandonner le projet.
LES MINES CRÈVE-PNEUS
Très souvent la nuit venue, l’abbé partait avec deux équipiers, souvent les même, pour déposer des sortes de mines anti-pneus. De la forme d’une boite de cirage, elles sont munies d’un détonateur et d’une légère charge d’explosif, suffisante toutefois pour déchiqueter sur plusieurs centimètres un pneu de camion. Une nuit deux de ces mines furent égarées sur la route nationale. Impossible de les retrouver ! Le lendemain on apprit que les Allemands étaient furieux car ils avaient été attaqués par des terroristes et qu’une roue de leur véhicule avait été détruite. Bon, cela faisait une mine de retrouvée, mais l’autre ? Vers les quatorze heures (heure allemande cette fois) c’est la remorque d’un véhicule allemand qui saute à son tour. Un soldat assis sur la flèche de la remorque sera même blessé sérieusement à la jambe
Mines crève-pneus
LES CLOUS
Dans le groupe de Francières, il y avait un certain Roland il était passé maitre dans l’art de fabriquer des clous de 2 ou 4 têtes. Ces clous étaient semés de nuit sur les chemins empruntés par les véhicules allemands. Un camion un jour en récolta seize d’un coup ! On estime que ce furent entre cinquante et soixante camions qui furent ainsi provisoirement immobilisés au moment du débarquement de Normandie.
L’ ABBÉ DONNE UN COURS DE LITURGIE
Une nuit, il est deux heures du matin, sur la route de Gournay, l’abbé qui vient de faire d’un coup de main rentre à bicyclette. Arrive en sens contraire un convoi de camions allemands. Il se cache et les laisse passer avant de reprendre la route. Mais un peu plus loin il tombe sur un autre camion tombé en panne, escorté d’un véhicule léger. Une haie de soldats lui barre la route, trop tard pour faire demi-tour : Halt ! où allez-vous ? lui demande un officier, sans se démonter l’abbé lui répond qu’il vient d’aller donner le Saint Viatique à un malade et qu’il rentre au presbytère. En France ajoute-t-il, les ministres du culte ont le droit au même titre que les médecins de se rendre la nuit auprès de ceux qui en ont besoin. L’officier remarque une musette que l’abbé porte dans le dos et lui demande ce qu’il y a dedans. Par bonheur cette nuit-là il n’y avait ni grenade, ni mine anti-pneus, mais le nécessaire pour un office : surplis, étole, boite à hosties, saintes huiles et l’abbé de tout sortir le contenu sur le capot de la voiture allemande. Puis il se lance dans une longue explication aux soldats allemands à quoi servait chacun des objets. Ont-ils compris quelque chose ? Ce n’est pas certain, de plus le cours de liturgie est brusquement interrompu par l’arrivée d’un avion anglais. Les soldats déguerpissent laissant l’abbé seul au milieu de la route. Il ramasse alors tranquillement ce qui lui appartient et reprend son chemin après avoir commenté à l’officier « vous savez, avion anglais pas si méchant que ça ! «
LES ÉVADÉS DU TRAIN DE ROYALLIEU
Dans la nuit du 24 au 25 août 1944, un train transportant vers les camps des déportés originaires principalement de Normandie, roule lentement en raison des risques de déraillements provoqués par le réseau Fer. Un bon groupe profite pour sauter du train après avoir cassé des planches. Les fugitifs s’éparpillent aussitôt dans la nature. Trente et un d’entre eux sont récupérés par l’abbé et ses hommes. Ils seront cachés jusqu’à la Libération – une semaine plus tard – en divers endroits : au presbytère, à la briqueterie Dupuis de Rémy et dans la région
LES PARACHUTISTES ANGLAIS
Le 26 août 1944, le groupe « Joseph » est alerté pour un parachutage au terrain de Moulin. Mauvais balisage ? Manque de visibilité ? Rien ne vient. Les armes sont tout de même parachutées, mais plus loin, récupérées par les FTP, ceux-ci refuseront de les partager avec leurs destinataires. Les hommes eux touchent terre à Francières. Le 27 août c’est le remue ménage au village, tout le monde veut voir les Anglais. Ceux-ci ont installé leur radio émetteur pour communiquer avec leur base aérienne en Angleterre. On leur dit de se mettre en relation avec le curé du pays, celui-ci est aussitôt prévenu. Il hésite dans un premier temps de se compromettre, le risque est énorme car les Allemands sont juste à coté. Finalement il se rend sur place, passe à coté des Anglais sans les saluer et se dirige directement vers les badauds et les fait ranger en cercle, sort un calepin de sa poche et prend les noms de toutes les personnes présentes, ils sont une bonne quarantaine, il les prévient « s’il arrive malheur aux cinq parachutistes présents ou à ceux venus pour les aider, tous, absolument tous, serez abattus par la Résistance ». Message reçu cinq sur cinq, personne ne parlera.
Il revient alors vers les cinq parachutistes (un Français, un Écossais et trois Anglais) : ce sont bien ceux que l’on attendait la nuit précédente. Une charrette est réquisitionnée pour transporter tout leur matériel jusqu’au presbytère. Joseph profite de leur radio pour faire passer des messages en Angleterre, puis les fait conduire au milieu des troupes occupantes près de Canly où ils feront un excellent travail de renseignement. Pendant qu’ils étaient au presbytère, un évadé du train de Royallieu en maniant sa Sten arme particulièrement fragile, au milieu du groupe lâche accidentellement une rafale. Par bonheur personne n’est touché et le bruit n’alerte pas les environs. L’auteur de cet incident une vrai tête brûlée, causera plusieurs fois des soucis au groupe jusqu’à la Libération. Le 3 Septembre, les deux officiers parachutistes, le Français et l’Écossais reviennent à Francières remercier l’abbé Le Pévédic pour son aide apportée. Quelques jours plus tard le Français, lieutenant Hérenguel ( dit de Wavrant ) passe à la sucrerie chez les Benoit et déclare être dégoûté par les excès de l’épuration. Il s’engage aussitôt pour l’Indochine.
LES PARACHUTAGES
Ils ont lieu de nuit bien sûr, un message est diffusé sur Radio Londres, comme par exemple « le vent souffle les flambeaux » ce qui signifiait ce soir là qu’un parachutage allait avoir lieu au terrain de Moulin à douze kilomètres de là. Le groupe se réunit alors au presbytère attendant le message radio, le seul qui ait vraiment de la valeur. Il faut alors se rendre sur le terrain quelque soit le temps, pour baliser le terrain et réceptionner les armes. On se rend en vélo avec l’arme personnelle attachée sur le cadre. Il faut pour s’y rendre traverser des routes gardées par des soldats ennemis. Parfois par manque de visibilité ou simplement parce que celui qui avait les lampes destinées au balisage s’est perdu en route, le largage est annulé. Une fois il fallu traverser un carrefour où stationnaient des camions allemands camouflés par des branchages. Pour les garder il y a deux soldats, l’un au milieu du carrefour, l’autre près des camions. L’abbé s’arrête : panne de vélo ! il demande à ses gars de continuer mais sans se presser. Ils longent alors les véhicules allemands pendant que lui continue à pied. Il est en uniforme de gendarme, tenue kaki d’été, sans doute raison pour laquelle lorsqu’il passe près d’une sentinelle celle-ci rectifie sa position et le salue réglementairement…
Une autre fois, par une nuit d’encre, le groupe se dirige vers un autre terrain de parachutage et pour cela doivent couper la grand route, mais un long convoi de véhicules allemand est à l’arrêt. Joseph part alors contre l’avis de ses hommes, seul, en rampant, pour tâter le terrain. De longues minutes plus tard un froissement leur apprend qu’il est de retour. « On peut se glisser entre les deux derniers véhicules leur dit-il, l’espace est un peu plus grand. Venez ça se passera bien, suivez-moi sans vous séparer, ni ralentir ». Tout le groupe passe ainsi en file indienne entre les deux derniers camions. Un soldat allemand est accoudé sur l’aile avant du dernier camion, le serre-file le heurte en passant, mais malgré sa grande frayeur il continue sa route sans courir. L’ Allemand bousculé et surpris ne réagira pas, il n’a pas compris.
L’abbé se retourne un peu plus loin « vous voyez bien, tout s’est passé comme je vous l’avais dit » Il était d’une inconscience et d’une audace insolentes. Ses adjoints devaient avoir les nerfs solides et avoir en lui une confiance aveugle. Quand ils partaient en opération de nuit, les hommes emportaient avec eux une fiole d’alcool pour lutter contre le froid et le stress, plus un casse-croûte. L’abbé faisait toujours attention à respecter l’heure pour la période de jeûne précédant sa messe et communion du lendemain matin.
En fait sur six parachutages prévus, seuls deux réussirent complètement. Un anglais et un américain. Malheureusement les armes récupérées lors d’un de ces parachutage furent vendues aux Allemands par celui qui en était responsable. Il le paya d’une balle dans la nuque sur ordre venu d’en haut. En 1950, l’abbé Le Pévédic se rend dans le Morbihan dans une ville pour une fête familiale et voit avec colère le nom du traitre inscrit sur le monument aux morts pour la France, le père de l’homme en question étant maire de la ville. Sur intervention du Comité de la Résistance, le nom sera retiré.
Deux témoins mentionnent également cette fois où l’abbé sollicite l’aide de quatre soldats allemands, en échange de chocolat ils descendent d’une charrette de lourds colis. Ils ont la délicatesse de ne pas demander ce que ces colis contiennent. Comment l’abbé aurait-il pu leur expliquer que c’était là le fruit d’un parachutage.
Pistolet Mitrailleur de François Le Pévédic. Il est aujourd’hui au musée de Tergnier dans l’Aisne