Un curé de choc

          « LES MORTS VIVENT TANT QU’IL Y A DES VIVANTS POUR PENSER A EUX « 

C’est ainsi que débuta l’éloge funèbre de l’abbé François Marie Le Pévédic prononcée par le sénateur Amédée Bouquerel le 27 juin 1985

Ce site a pour but de rendre hommage à mon oncle maternel François Marie Le Pévédic originaire de  Grand-Champ dans le Morbihan, curé de Francières , de Gournay et de Crisolles dans le département de l’Oise. Il fut aussi  une figure importante de la Résistance dans ce département, lors de la seconde guerre mondiale.

Abbé Le Pévédic

François Marie le Pévédic ( 1912-1985 )     Homme d’église et Résistant

Les textes  proviennent principalement de souvenirs familiaux et des différents travaux de Michel Varoqueaux et Joel Hiquebrant dans  » l’Histoire de Francières  » et de Roland Lucchesi pour « De l’Intérieur vient la Force« .

Si vous avez relevé une erreur ou si vous avez des documents permettant de compléter ce modeste travail, je vous serai reconnaissant de m’en faire part.

Je voudrais remercier le docteur Michel Varoqueaux qui m’a confié ses écrits et ses photos dont il m’a aimablement autorisé la publication, ainsi que Bruno Fournier pour son indispensable  aide technique.

Yannig Oliviéro

Enfance à Grandchamp

François Le Pévédic est né à Grand-Champ dans le Morbihan le 21 juin 1912 au lieu-dit la Madeleine.

maison natale de Mamie à Grandchamp

La maison marquée d’une croix est celle où est né François Le Pévédic

Son père Joseph né à Plumergat, est artisan en machines agricoles, bretonnant lettré, il écrivait régulièrement sous le pseudonyme de « An hanteru Job » c’est à dire le cousin Job, dans la revue Dihunamb dont le fondateur Loeiz Herrieù était un ami de longue date. Il sera aussi conseiller général de 1919 à 1937. A ses enfants il lèguera un amour indéfectible à la Bretagne, à sa culture, à sa civilisation et à …son autonomie !

Chez les Le Pévédic on est meuniers de père en fils depuis 9 générations

La maman de François, Marie-Jeanne Le Corre, est née au village de Kerbloch en Grandchamp. La famille résidait déjà dans la commune en 1590 au village de Keropert. Chez les Le Corre, comme chez les Le Pévédic, on est très pieux et beaucoup d’enfants sont rentrés dans les ordres, on y compte même un archevêque et un vicaire général.

Famille Le Pévédic Joseph x Le Corre Marie Jeanne (2)

François avec ses parents et ses soeurs Marie-Joseph, Anne-Marie et Zizine

Comme sa sœur aînée Marie Joseph, François parlera uniquement le breton jusqu’à son entrée à l’école primaire, langue à laquelle il sera très attaché toute sa vie, non seulement il le parlait à la perfection, mais aussi il le lisait et l’écrivait. Sa bibliothèque abritait de nombreux auteurs bretonnants parmi lesquels Jean-Pierre Calloc’h (Bleimor, mort pour la France en Avril 1917) avait sa préférence.

Breiz Atao

François le Pévédic pose ici vêtu du costume de son papa. Subtile provocation : à ses pieds il a posé un exemplaire du journal autonomiste breton : Breiz Atao dont il était fidèle lecteur

tonton François avec un moteur à essence devant la maison d'habitation

Devant la maison familiale avec un moteur à essence

Il a toujours eu la vocation et, sur les traces de ses oncles et grands oncles, c’est tout naturellement qu’il entre  à St Jacques près de St Pol de Léon au séminaire fondé par son grand oncle Monseigneur Kersuzan, on y forme des missionnaires qui partent ensuite prêcher la bonne parole en  Haïti.

St Jacques détente

Moment de détente à St Jacques

Mais deux années plus tard, il se fait surprendre au dortoir en train de fumer avec deux autres séminaristes. On ne plaisante pas avec la discipline à St Jacques et c’est le renvoi immédiat pour les deux autres élèves, mais pas pour lui (il est le petit neveu du fondateur) . C’est mal connaitre le caractère entier de François qui refuse ce favoritisme et exige la même sanction que ses deux confrères.

seminaire-st-jacques-lampaul-guimiliau

Le séminaire de St Jacques

Il part alors au séminaire de Ste Anne d’Auray à 17 kilomètres de la maison paternelle, c’est là qu’il passera le Bac de Philo.

st-anne-seminaire

Séminaire de Ste Anne Année du Bac.  L´abbé François Le Pévédic est en haut á gauche. Au deuxième rang, le quatrième à partir de la droite, est Marcel Oliviéro médecin à Noyal.Pontivy, déporté en 1943, il deviendra après la Libération, le beau-frère de l´Abbé Le Pévédic.

Il s’engage ensuite dans l’armée pour une durée de dix huit mois et il est incorporé dans un régiment d’artillerie coloniale d’abord à Sarreguemines puis à Haguenau. Là, il rencontre un aumônier qui va l’orienter vers le diocèse de Beauvais dont l’évêque est aussi un Breton : Monseigneur Le Senne. En quittant l’armée François Le Pévédic s’en va donc dans l’Oise pour y terminer ses études. De son passage à l’armée il gardera l’habitude d’un gros ceinturon en cuir qu’il portait bien  au-dessus de la taille. De là viendra son surnom de « curé au ceinturon ».

Service militaire Artillerie

Service militaire dans l’artillerie coloniale

Pendant ces années, il se passionnera pour la réfection de la belle chapelle du Burgo en Grand-Champ. Celle-ci sera malheureusement très abîmée lors de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui un groupe de passionné veille à son entretien sauvant ce qui peut encore l’être.

service militaire casse croûte

Casse-croûte au Régiment

107ème RAC

107ème RAC François Le Pévédic est au centre, dernier rang avec un képi foncé. Photo collection Yannick Gainche

Arrivée en Picardie

s

Après l’armée donc, François Le Pévédic termine son grand séminaire à Beauvais et il est ordonné prêtre l’été 1937, il a tout juste 25 ans.

Clergé 1937

Eté 1937 première grand messe de l’Abbé Le Pévédic ( 2ème à gauche )

Quelques semaines plus tard le 18 septembre, son premier poste le conduit à Francières paroisse à laquelle il restera toute sa vie, viscéralement attaché. Il y remplace l’abbé Evrard. Comme il s’agit d’une petite paroisse, il est aussi desservant de Hémevillers et Montmartin. Le lendemain, jour de la St Michel, il célèbre sa première messe à Francières, tellement ému il perd parfois le fil des rites, c’est son père, lui aussi ancien élève du séminaire de Ste Anne d’Auray qui fait office de « souffleur » . Le 20 Septembre suivant pour la messe des morts pour la France, les anciens combattants sont présents à l’église avec clairons et tambours. Pendant l’élévation ils interprètent la sonnerie « Aux champs ». Puis l’abbé Le Pévédic dépose une gerbe au monument aux morts. Madame Benoit note dans son journal « Mr le Curé est très favorablement influencé et parait content d’être à Francières ».

Sa soeur Marie l’accompagne pour l’aider  quelques mois dans sa tâche. Lors de l’installation elle  porte un magnifique costume breton du pays vannetais dont elle a brodé elle-même le tablier. Cela marquera beaucoup la population locale, puisque soixante six ans plus tard  en Septembre 2004, on me  rappellera cette anecdote lors de mon passage à Francières. Selon plusieurs témoins, sa maman était également présente pour son installation.

La maison paroissiale  n’est plus occupée depuis au moins une année et elle a  besoin d’un minimum de réhabilitation. Pendant les semaines que durent les travaux, l’abbé et sa sœur sont hébergés chez Madame Benoit propriétaire de la sucrerie de Francières.

Avec ses parents et la 201 Peugeot

A Grand Champ  en 1937 devant l’atelier paternel et la 201 Peugeot . Dernière visite à ses parents avant le départ pour Francières

 

Dès son arrivée il déploie  une intense activité qui le révèle comme un infatigable meneur d’hommes. Il commence par lancer la JAC et les Cœurs Vaillants, ceux-ci en avril 1938 vont conquérir l’ Etendard de France de première catégorie lors du dixième anniversaire du mouvement au Vel d’hiv.

Bartrès 1938

Bartrès dans les Pyrénées, le pèlerinage à Lourdes incluait aussi quelques promenades

 

Suivent bientôt une chorale de jeune fille, un club de basket, le cinéma rural,  les dames de la Ligue, les Hommes de l’UCO et les pèlerinages à Lourdes ou à Lisieux.

Fête de la moisson 1938

Fêtes des semailles 1938

 

Il relance aussi la fête des semailles ou des moissons. Lors de la première édition, le 9 octobre 1938 un groupe de musiciens bretons en costume défilera avec les chars. Cette fête se déroulera en alternance avec Hémevillers et Montmartin.

le petit semeur

Exemplaire du bulletin paroissial

 

En décembre 1938, parait le premier numéro du bulletin paroissial « Le petit semeur » dont le titre est un clin d’œil à « En hadour » en breton « le semeur » bulletin paroissial de Grand-Champ. Le bulletin parait tous les mois, on y trouve un éditorial dont la rédaction est toujours très soignée, les nouvelles paroissiales, une anecdote en dialecte picard et une page d’histoire locale car l’abbé s’intéresse de très près au passé de sa paroisse. Avec ses Cœurs Vaillants il avait fait des fouilles sous la motte féodale et ensemble ils avaient découvert une salle souterraine. Il avait aussi écrit sur les vitraux classés de l’église  paroissiale. Malheureusement le bulletin paroissial ne paraîtra plus après la guerre.

Certains notables avaient l’habitude d’offrir à l’église des statues, au grand dam de Mr le curé qui ne savait où les mettre. L’une d’elle représentant le Sacré Cœur sera retrouvée plus tard  dans le grenier du presbytère, sur le coté un enfant qui sans doute avait été puni pendant un cours de catéchisme y a gravé rageusement  » sale c.. de curé » !

Une guerre pas si drôle

Mobilisé le 1er septembre 1939, il rejoint le 11ème Régiment d’Artillerie de campagne. Il est cité une première fois à Sierck les Bains. Suivront deux autres citations. Après avoir échappé de peu à l’ennemi en traversant une rivière à la nage avec son lieutenant sur le dos car celui-ci ne savait pas nager, il est fait une première fois prisonnier le 19 juin 1940 à Dompaire dans les Vosges. Il s’évade dès le lendemain grâce à la générosité d’un cultivateur du Val d’Ajol qui ressort une vieille voiture de dessous la paille.

Guerre 39-40 affut dans la neige

François Le Pévédic (en arrière-plan) à l’affût en Lorraine près de Sierck les Bains

 

Une semaine plus tard le 27, il est capturé une deuxième fois à Pleure dans le Jura. Le 30 juin il s’évade depuis Rahon,  au volant …d’un véhicule dérobé à l’armée allemande !

Avec trois compagnons il gagne alors Vichy, puis Clermont-Ferrand et arrive à Limoges. De là il rejoint Riom où durant quelques semaines il travaille au bureau de démobilisation tout en animant un patronage.

Riom Coeurs Vaillants

Riom en Juin 1940 l’abbé Le Pévédic  et  des Cœurs Vaillants du patronage local

 

Il est démobilisé le 8 septembre 1940 et prend le chemin de Francières. Mais avant de partir, il glisse dans sa valise des imprimés militaires et des tampons qui lui seront bien utiles par la suite. L’abbé Le Pévédic est déjà en résistance !

 

Evasion en 1940

Juin 1940 François à droite, avec ses compagnons d’évasion

 

Le 11 septembre il est de retour au presbytère qui a été pillé par l’occupant, c’est le lot de toutes les maisons de la commune qui avaient été désertées par leurs habitants le 21 mai, puis le 6 juin.

Dès le début octobre, il groupe autour de lui un groupe d’hommes et de jeunes prêts à lutter contre l’occupant. Ils commencent à rassembler un maximum d’armes : Lebel, mousquetons ou fusils de chasse, poignards, grenades, etc…le tout est entreposé sous la voute de l’église paroissiale en vue d’opérations futures. Elles y restent jusqu’en 1944 date à laquelle elles sont redescendues au presbytère.

Lutte contre l’occupant

A son retour à Francières en Octobre 1940, Joseph (c’est le nom qu’à pris l’abbé Le Pévédic ) forme un groupe de résistants (ils seront jusqu’à 50) dans le secteur Francières-Hémévillers. Le relief de la région ne permet pas d’attaque frontale avec l’ennemi, d’autant plus que des représailles envers la population civile seraient à craindre alors  dans un premier temps, leur but sera de surveiller ceux qui pourraient être tentés par une certaine collaboration avec l’occupant et aussi de nuire au maximum au ravitaillement des Allemands.

Mais en fait la récupération d’armes et de munitions abandonnées lors de la débâcle avait commencé plus tôt. Certains qui étaient alors de jeunes adolescents, c’est le cas de Philippe Doisy né en 1929, neveu de la famille Benoit, se souviennent avoir transporté des armes avec l’abbé dès le mois d’ Octobre 1940.

Au grand désespoir de bien des paroissiens, il maintient l’heure française pendant tout le conflit. Elle tombe deux heures après l’heure allemande imposée par l’occupant. Ceci implique des réunions à des heures tardives et la grand messe du Dimanche qui tombe à l’heure du déjeuner. De 1940 à 1944, l’abbé maintient son activité sacerdotale (en plus de ses autres activités)  fête de la moisson, des enfants, de la sucrerie, etc…les processions bien qu’interdites comme tout rassemblement, seront elles aussi maintenues dans les trois paroisses. Mais à plusieurs reprises les gendarmes viennent vérifier à la sucrerie que les réunions de JAC comme tous les mouvement de jeunesse ont bien été supprimées

Depuis Août 1940, des prisonniers français sont regroupés au camp de Royallieu près de Compiègne. Dans la journée ils vont travailler dans des fermes ou entreprises de la région où ils sont nourris. Trente d’entre eux travaillent à la sucrerie de Francières, où des soldats allemands les déposent le matin et les récupèrent le soir avec leurs camions. Mais le 6 Décembre, les gendarmes transmettent l’ordre de les renvoyer au camp dès 19 heures. Deux jours plus tard, on apprend qu’ils vont être dirigés vers l’Allemagne. Un grand nombre alors tente de se sauver dont environ 80 sont récupérés par les habitants et les cheminots. L’abbé leur donne alors des feuilles de démobilisations qu’il avait récupérées à Riom et de fausses cartes d’identité, plus de 20 pourront ainsi éviter le départ en Allemagne.

En Décembre 1940 et Janvier 1941, les incursions de soldats allemands dans les fermes se multiplient, alors qu’une récente circulaire de la Kommandantur interdit à la troupe occupante d’aller se ravitailler en beurre, œufs, volailles, etc dans les fermes. Fort de cette « interdiction » Joseph part en chasse après les Boches qui pensent gruger les pauvres gens attirés par l’appât du gain. Ainsi un jour apprenant qu’ils sont sur Francières, il se lance à leur poursuite sans parvenir à les rattraper. Dans une dernière ferme, la fermière lui avoue avoir vendu quelques œufs pour voir la paix et lui apprend qu’ils sont partis en direction de Montmartin. Il les trouve en effet dans cette localité et comme ils descendent de voiture, Joseph sort calmement un carnet de sa poche et note ostensiblement le numéro de la voiture. Puis à la suite des soldats, entre dans la maison où le paysan qui n’a pas « tout compris » s’apprête à remplir d’œufs le panier des Allemands. L’abbé alors lui propose d’acheter les œufs pour les pauvres qui n’en ont pas, le pauvre homme ne sait plus quelle contenance il doit prendre, d’autant plus que l’abbé l’accuse d’être un profiteur et un mauvais Français. Tout ceci en présence de nos deux allemands qui comprennent un peu notre langue.

Une heure plus tard, les Allemands sont à la recherche d’un « homme en noir » et finissent par le découvrir. Commence alors une orageuse discussion où il sera question d’emprisonnement et de « fusillage ». Mais l’abbé reste calme et leur répond que si il a noté l’immatriculation du véhicule c’est tout simplement pour le rapporter à la Kommandantur qui les fera sûrement enfermer pour ne pas avoir respecté leur propre règlement. Ils essaient alors de l’emmener de force vers leur voiture, mais n’y parviendront pas et c’est rouge de colère qu’ils prennent la direction de Compiègne. Ceux-là au moins, on ne les revit plus dans la région de Francières. C’est en souvenir de cette appellation de « l’homme en noir » que plus tard Joseph changera son nom de guerre en « le Nègre ». Ce qui à l’époque n’avait aucune connotation raciste.

Le groupe s’organise, son terrain d’activité s’étend jusque Clermont et en 1943 il est rattaché à l’OCM Organisation Civile et Militaire, qui deviendra par la suite FFI. Ce groupe travaille aussi beaucoup avec la Résistance Fer : mouvement composé essentiellement de cheminots qui s’était spécialisé dans le renseignement des mouvements de l’armée allemande et le sabotage des lignes de voies ferrées. Le réseau étant dépourvu de liaisons radios, celles-ci passent par le réseau Notre-Dame du colonel Rémy.

franciereseglise01

Église de Francières état actuel. A droite le toit du chœur sous lequel se cachèrent plusieurs personnes recherchées par la Gestapo

LES RÉFRACTAIRES AU STO

L’abbé Le Pévédic s’adresse ainsi à ses jeunes : »méfiez-vous des Boches et de leurs manières bonasses, ils sont faux ! ne les craignez pas non plus, nous en verrons un jour le bout et les chasserons. Ce qu’ils ont fait subir aux pays occupés lors de l’autre guerre, ils vont encore nous le faire subir, ils n’ont pas changé. Un enrôlement obligatoire pour le travail en Allemagne se fera sûrement, ne partez pas venez me voir, nous ne sommes pas condamnés aux travaux forcés ».

cache des refractaires dans l'eglise francières

Passage sous la voute de l’église donnant accès à la « cache »

 

En Juin 43, les jeunes de la classe 42 (nés en 1922) sont convoqués pour le STO en Allemagne. Ils se rappellent les paroles de Joseph et viennent le trouver pour savoir la conduite à tenir. Le 23 Juin Roger De Brouwer quitte tristement Francières pour Compiègne avec deux valises, l’une d’elles est déposée chez Mr le curé de Vénette ( elle est récupérée le lendemain par l’abbé Le Pévédic ) Et avec la seconde valise il descend sur les rives de l’Oise, s’arrête à la hauteur de Jaux où il écrit une lettre d’adieu à ses parents leur disant qu’il préfère se noyer plutôt que de travailler pour les Boches. Il abandonne sa veste, sa valise et ses papiers.

Le tour est joué, la nuit venue, Roger reprend tranquillement la route de Francières où il sait qu’un abri sûr l’attend jusqu’à la Libération. Quelques jours plus tard dans l’église de Francières, l’abbé Le Pévédic célèbre un service funèbre solennel pour « les victimes civiles de la guerre ». Toute la paroisse est venue car bien sûr tout le monde pense que c’est pour Roger et on est recueilli en pensant à celui qui a préféré mourir plutôt que de se mettre au service de l’occupant. En fait Roger est là  haut, sous les combles de l’église et il assiste à ses obsèques par un trou dans le plafond.

Le 2 Juillet plus tard Paul Leviel un ami est convoqué à son tour, pas possible de recommencer le coup du suicide, les Allemands découvriraient la supercherie. Alors il part pour Paris, mais à la gare du Nord, ses compatriotes qui n’ont pas eu son courage ou celui de Roger et s’apprêtent à partir en Allemagne, ne le voient plus et pour cause lui aussi a rebroussé chemin et frappe à son tour à la porte du presbytère de Francières et rejoint son ami Roger sous les combles. Quelques jours après, ses parents reçoivent une lettre de Paris dans laquelle il leur dit qu’un officier allemand rencontré à Paris lui a proposé de travailler pour l’Organisation Todt où il serait bien mieux qu’en Allemagne. Puis vient une lettre de Brest dans laquelle il raconte à ses parents qu’il ne comprend rien qu’on le trimbale tous les deux jours dans une ville différente de la côte bretonne, qu’il ne fait rien, qu’il va très bien, mais que voyageant sans arrêt, il ne peut leur donner de ses nouvelles. Nous l’avons compris, c’est l’abbé Le Pévédic qui avec ses connaissances en Bretagne a fait poster toutes ces lettres, d’autres suivront…

René, un autre ami appelé par le STO part dans le Nord revient très discrètement et se cache dans la cave où il se consacre à la culture des champignons. Résistant efficace, il sera un des principaux acteurs  de la libération de Francières.

On atteint le clocher par un escalier particulièrement raide, mais ce n’est pas dans le clocher que les protégés de l’abbé le Pévédic se cachent. Après avoir passé une ouverture on suit une grande poutre longitudinale au-dessus du plafond de l’église,  en se tortillant on franchit des poutres axiales et latérales et une seconde ouverture donne accès à une salle située juste au-dessus du chœur.

escalier-eglise-francieres

L’escalier et la trappe par où passaient les protégés de Mr le curé

 

Il s’agit en fait d’une simple cellule obscure juste sous les toits. On y étouffe en été, on y gèle en hiver à un tel point qu’en Octobre 1943 les occupants des combles durent se cacher au presbytère durant quelques semaines. Le plancher bombé épouse la voûte du plafond du chœur. Des travaux d’entretien ont été réalisés dans les années 90, Mr Varloteaux y trouva une lampe en cuivre et de la vieille paille sur laquelle les occupants avaient dormi plusieurs mois.

Pour y parvenir il fallait être acrobate et François Le Pévédic sensible au vertige ne s’y risqua jamais. Lorsqu’il apportait du courrier ou du ravitaillement, le tout était déposé dans un confessionnal. L’abbé se dirigeait ensuite vers l’harmonium où il jouait « Au clair de la lune » et se retirait sans dire un mot. Là-haut on savait que la voie était libre. Descendre le « cousin Jules » c’est-à-dire le seau hygiénique, n’était pas une sinécure mais le tour de corvée était scrupuleusement respecté par les occupants des lieux.

En dehors des réfractaires au STO, la cache servi aussi à des résistants poursuivis par la Gestapo comme Mr Georges Fleury et deux de ses enfants, à un agent de liaison et aussi à des aviateurs alliés dont l’avion avait été abattu et se cachaient en attente d’être rapatriés en Angleterre.

Forteresse volante février 44

Le 15 Novembre 1943, l’abbé Le Pévédic est nommé curé de Gournay-sur-Aronde, tout en conservant les paroisses de Francières, Hémévillers et Montmartin. Il doit y aider le vieux curé le chanoine Bailler qui d’ailleurs décèdera peu après. Mais tout ce temps il gardera le presbytère de Francières où il résidait plusieurs jours par semaine, se déplaçant toujours à vélo.

Dans l’arrière cuisine du presbytère il y avait un placard à fond coulissant, il donnait accès à un souterrain creusé en 1944 par les locataires de l’église et du presbytère comme issue de secours. Il débouchait dans un jardin voisin appartenant à la famille Plessier. Un piège avec deux grenades était disposé de façon à se déclencher après le passage des fuyards stoppant ainsi les poursuivants. Il n’a jamais été nécessaire de s’en servir et le boyau fut rebouché en 1945 par des prisonniers allemands.

Le presbytère et l’église, isolés à l’extrémité du village facilitaient la circulation discrète des résistants, d’autant plus que Francières n’était pas occupée en permanence, les Allemands se contentant de faire des patrouilles assez fréquentes.

Dans le grenier du presbytère étaient entreposées des armes parachutées à partir d’août 1944, dans l’autre partie du grenier sur des planches, étaient le sucre et la viande venant d’abattages clandestins fournis par Mr Benoit. Le braconnage pouvant compléter le menu.

La sœur du maréchal Leclerc vint un jour faire l’inventaire des armes disponibles : il y en avait partout, outre l’armement disparate récupéré en 1940, on avait des explosifs dans la chambre du curé, des armes automatiques dans celle de la gouvernante, des fusils anglais, des carabines américaines USM 1, des pistolets mitrailleurs Sten, Thomson et Marlin, deux fusils mitrailleurs et même une mitrailleuse ! Le tout en attente du grand jour.

LES AVIATEURS ALLIES

Le 8 Février 1944, une forteresse volante B 17 avec dix hommes à bord est attaquée par la chasse allemande au-dessus d’Abbeville alors qu’elle se dispose à accomplir une mission sur Francfort. L’avion allié est touché alors qu’il est à 6000 mètres d’altitude, le pilote Doris Beam n’arrive plus à contrôler son appareil qui perd de l’altitude et la radio est en panne. L’ordre est donné de sauter, mais seuls trois hommes s’exécutent, deux seront récupérés par la population, le copilote est retrouvé mort. Le canonnier coincé dans sa boule est dégagé par ses coéquipiers, il saute à son tour et blessé, sera fait prisonnier à l’hôpital, l’avion se déleste de ses bombes et s’écrase en essayant de se poser près de Monchy-Humières. Les Allemands arrivent rapidement : il reste six hommes à bord qui miraculeusement survivent au crash. Le pilote qui est blessé est trainé jusqu’à la route par deux coéquipiers qui se rendent à une voiture allemande. Personne n’a remarqué deux silhouettes qui se sont extraits par l’arrière de l’avion, ils s’éloignent en longeant les haies et arrivent à 400 mètres de là près du cimetière. Il s’agit de l’américain David Helsel qui en est à sa dixième mission et du Canadien John Bernior.

C’est à ce moment que deux jeunes filles de Monchy : Micheline et France Vervel se rendent sur la tombe de la famille. Elles aperçoivent un pied qui dépasse de la cachette. Les aviateurs ont de la chance, la famille a déjà caché chez elle des patriotes recherchés par l’occupant. La famille est prévenue et lorsque le moment sera un peu plus opportun les frères de Micheline et de France viennent chercher les aviateurs et les guident jusqu’à la maison familiale où ils sont pansés, réconfortés et se cacheront pendant trois jours.

Après quoi l’abbé Le Pévédic vient les chercher et les cache dans son presbytère durant vingt et un jours. De là ils sont transférés de nuit à Cressonsacq dans la ferme Doisy et huit jours plus tard on les conduit jusque les Cotes du Nord d’où ils sont rapatriés en Angleterre par les hommes du colonel David Birkin, le papa de Jane.

Francières aviateur promenade

Les deux aviateurs ( le deuxième à gauche et le troisième à partir de la droite )  partent revoir l’avion dont ils se sont sortis miraculeusement

Outre les possibles dénonciations, les aviateurs alliés habitués aux altitudes souffraient souvent de claustrophobie et de dépression nerveuse, ils pouvaient alors devenir insupportables. Il fallait donc les changer de cachette régulièrement.

Avant de quitter Francières, un après-midi, le 20 Février 1944, on s’est occupé de leur trouver deux bicyclettes et immergés dans un groupe de cyclistes, on les conduit jusqu’à leur avion qu’ils désirent revoir avant de rentrer en Angleterre. Il est gardé par des soldats allemands qui empêchent de s’en approcher, mais le groupe pourra voir cependant ce qu’il voulait : la place occupée par David et John dans l’appareil. Un jeune a même le toupet de demander aux gardiens ce que sont devenus les occupants   » Ah gross malheur pour eux, ils sont tous morts ! « . Pour faire le gugusse, un autre accompagnateur propose alors aux Allemands de poser avec le groupe devant l’avion, mais ceux-ci refusent à regrets car il est « verboten » aux Français de photographier un soldat allemand… S’ils avaient su !

  L’abbé Le Pévédic aura toutefois des sueurs froides avec ses deux aviateurs qui s’obstinaient à rouler à gauche   « avec leurs idioties  on aurait pu se faire repérer… »

avec des aviateurs avant leur rapatriement

Photo prise au moment du départ des aviateurs pour l’Angleterre de gauche à droite : Roger De Brouwer qui assista à ses propres « obsèques », David Helsel l’américain, l’abbé Le Pévédic et John Bernior le Canadien

 

Dans le cimetière de Monchy une plaque du Souvenir Français rappelle cet épisode. Le 24 Juin 2000 David Helsel est revenu en pèlerinage en Picardie avec son épouse et ses enfants . David et John sont aujourd’hui décédés, mais leurs familles envoient chaque année leurs vœux à Micheline qui se fait un plaisir de leur répondre.

 

 

 

LES PRISONNIERS RUSSES

La gare d’Estrées était la cible de fréquents bombardements et le long de la route de Francières on en voyait plusieurs de plus de 200 kilos qui n’avaient pas explosé. Des prisonniers russes sont réquisitionnés pour les évacuer. La famille Benoit, quelques amis et Mr le curé se rendent sur place, les Russes sont sur les voies de chemin de fer et …portent l’uniforme rayé des déportés avec la lettre R peinte en rouge dans le dos. Avec l’accord des sentinelles qui elles aussi profiteront du repas, on distribue aux prisonniers de la soupe, des œufs durs,  du bourguignon et des cigarettes. Le lendemain les bienfaiteurs sont refoulés, ils reviennent l’après-midi et assistent au déterrage d’une bombe qui sera trainée par un camion ! La nourriture est alors acceptée et les Russes repartent au camp assis sur une bombe qui vient d’être désamorcée. Une semaine plus tard quatre d’entre eux seront tués par une explosion à Montdidier.

LES TICKETS , LE TABAC

Le 28 Juin 1944, l’ordre est donné de récupérer des tickets de ravitaillement qui pourraient être ensuite utilisés par les maquisards. Le secrétaire de mairie va comme d’habitude faire sa distribution à la sucrerie.

Deux hommes se postent au coin du bois de Francières, là où « Joseph » les a assignés,  puis lui va faire le guet plus en avant afin de vérifier que le secrétaire prend bien la bonne route. Dès qu’il approche les deux hommes armés d’un révolver et le visage masqué, bondissent au milieu de la route et lui réclament son précieux chargement. Un ouvrier qui rentre de son travail passe par là et veut intervenir, un revolver pointé sur lui on lui conseille de rentrer  bien vite à la maison.

Quand au secrétaire de mairie, mort de peur et on le comprend, il est ficelé. Pas trop fort car l’abbé a bien recommandé d’éviter la violence. On lui explique que c’est pour son bien, car il pourrait être accusé de s’être laissé faire, on connait ses sentiments bienveillants vis-à-vis de ceux qui luttent contre l’occupant. Il sera d’ailleurs libéré quelques minutes plus tard par un passant.Les tickets eux sont distribués dès le lendemain dans le maquis.

Mais le maquis justement a aussi besoin de tabac…Le bureau de tabac de Lachelle doit être ravitaillé quelques jours plus tard dans l’après midi. Trois hommes sont désignés pour intercepter la livraison. Hélas le tuyau n’était pas bon, la livraison a eu lieu le matin et il ne reste plus que 31 paquets qui  seront payés intégralement le surlendemain par l’abbé. La quantité est jugée insuffisante pour le maquis et sera reversée aux réfractaires de Francières. Les maquisards attendront quelques jours de plus.

LES LIGNES TÉLÉPHONIQUES

Juillet 1944, une ligne téléphonique allemande relie Compiègne au terrain d’aviation de Beuvraignes-Amy à cheval sur la Somme et sur l’Oise. Les dirigeants de l’OCM de Compiègne demandent de saboter cette ligne. Joseph prend deux hommes avec lui,  la nuit venue ils se rapprochent de la ferme de Portes en bordure de la route nationale. René un des réfractaires caché à l’église, grimpe en haut d’un poteau et commence à sectionner les fils les uns après les autres ce qui fait beaucoup de bruit car ils sont assez épais. Alors, pendant que les autres font le guet, Joseph scie trois poteaux qui s’écrasent dans un champ de blé. Les fils sont alors sectionnés en petits morceaux. Il faudra plusieurs jours aux Allemands pour réparer les dégâts. Un pli est acheminé le lendemain à l’État-major de la Résistance : « travail exécuté dans d’excellentes conditions « 

Quelques mois plus tôt en Mars de la même année, c’est la ligne souterraine Paris-Lille qui devait être sectionnée, mais alors que huit hommes étaient en plein travail, surgit un camion allemand qui va stationner juste en face de nos terrassiers. Pendant un bon quart d’heure ils se cachent derrière le talus, le doigt sur la détente de leurs pistolets mitrailleurs. Tout finira bien, mais il est décidé d’abandonner le projet.

LES MINES CRÈVE-PNEUS

Très souvent la nuit venue, l’abbé partait avec deux équipiers, souvent les même, pour déposer des sortes de mines anti-pneus. De la forme d’une boite de cirage, elles sont munies d’un détonateur et d’une légère charge d’explosif, suffisante toutefois pour déchiqueter sur plusieurs centimètres un pneu de camion. Une nuit deux de ces mines furent égarées sur la route nationale. Impossible de les retrouver ! Le lendemain on apprit que les Allemands étaient furieux car ils avaient été attaqués par des terroristes et qu’une roue de leur véhicule avait été détruite. Bon, cela faisait une mine de retrouvée, mais l’autre ? Vers les quatorze heures (heure allemande cette fois) c’est la remorque d’un véhicule allemand qui saute à son tour. Un soldat assis sur la flèche de la remorque sera même blessé sérieusement à la jambe

mines creve-pneus

Mines crève-pneus

 

LES CLOUS

Dans le groupe de Francières, il y avait un certain Roland  il était passé maitre dans l’art de fabriquer des clous de 2 ou 4 têtes. Ces clous étaient semés de nuit sur les chemins empruntés par les véhicules allemands. Un camion un jour en récolta seize d’un coup ! On estime que ce furent entre cinquante et soixante camions qui furent ainsi provisoirement immobilisés au moment du débarquement de Normandie.

L’ ABBÉ DONNE UN COURS DE LITURGIE

Une nuit, il est deux heures du matin, sur la route de Gournay, l’abbé qui vient de faire d’un coup de main rentre à bicyclette. Arrive en sens contraire un convoi de camions allemands. Il se cache et les laisse passer avant de reprendre la route. Mais un peu plus loin il tombe sur un autre camion tombé en panne, escorté d’un véhicule léger. Une haie de soldats lui barre la route, trop tard pour faire demi-tour : Halt ! où allez-vous ? lui demande un officier, sans se démonter l’abbé lui répond qu’il vient d’aller donner le Saint Viatique à un malade et qu’il rentre au presbytère. En France ajoute-t-il, les ministres du culte ont le droit au même titre que les médecins de se rendre la nuit auprès de ceux qui en ont besoin. L’officier remarque une musette que l’abbé porte dans le dos et lui demande ce qu’il y a dedans. Par bonheur cette nuit-là il n’y avait ni grenade, ni mine anti-pneus, mais le nécessaire pour un office : surplis, étole, boite à hosties, saintes huiles et l’abbé de tout sortir le contenu sur le capot de la voiture allemande. Puis il se lance dans une longue explication aux soldats allemands à quoi servait chacun des objets. Ont-ils compris quelque chose ? Ce n’est pas certain, de plus le cours de liturgie est brusquement interrompu par l’arrivée d’un avion anglais. Les soldats déguerpissent laissant l’abbé seul au milieu de la route. Il ramasse alors tranquillement ce qui lui appartient et reprend son chemin après avoir commenté à l’officier « vous savez, avion anglais pas si méchant que ça ! « 

LES ÉVADÉS DU TRAIN DE ROYALLIEU

Dans la nuit du 24 au 25 août 1944, un train transportant vers les camps des déportés originaires principalement de Normandie, roule lentement en raison des risques de déraillements provoqués par le réseau Fer. Un bon groupe profite pour sauter du train après avoir cassé des planches. Les fugitifs s’éparpillent aussitôt dans la nature. Trente et un d’entre eux sont récupérés par l’abbé et ses hommes. Ils seront cachés jusqu’à la Libération – une semaine plus tard – en divers endroits : au presbytère, à la briqueterie Dupuis de Rémy et dans la région

LES PARACHUTISTES ANGLAIS

Le 26 août 1944, le groupe « Joseph » est alerté pour un parachutage au terrain de Moulin. Mauvais balisage ? Manque de visibilité ? Rien ne vient. Les armes sont tout de même parachutées, mais plus loin, récupérées par les FTP, ceux-ci refuseront de les partager avec leurs destinataires. Les hommes eux touchent terre à Francières. Le 27 août c’est le remue ménage au village, tout le monde veut voir les Anglais. Ceux-ci ont installé leur radio émetteur pour communiquer avec leur base aérienne en Angleterre. On leur dit de se mettre en relation avec le curé du pays, celui-ci est aussitôt prévenu. Il hésite dans un premier temps de se compromettre, le risque est énorme car les Allemands sont juste à coté. Finalement il se rend sur place, passe à coté des Anglais sans les saluer et se dirige directement vers les badauds et les fait ranger en cercle, sort un calepin de sa poche et prend les noms de toutes les personnes présentes, ils sont une bonne quarantaine, il les prévient « s’il arrive malheur aux cinq parachutistes présents ou à ceux venus pour les aider, tous, absolument tous, serez abattus par la Résistance ». Message reçu cinq sur cinq, personne ne parlera.

Il revient alors vers les cinq parachutistes (un Français, un Écossais et trois Anglais) : ce sont bien ceux que l’on attendait la nuit précédente. Une charrette est réquisitionnée pour transporter tout leur matériel jusqu’au presbytère. Joseph profite de leur radio pour faire passer des messages en Angleterre, puis les fait conduire au milieu des troupes occupantes près de Canly où ils feront un excellent travail de renseignement. Pendant qu’ils étaient au presbytère, un évadé du train de Royallieu en maniant sa Sten arme particulièrement fragile, au milieu du groupe lâche accidentellement une rafale. Par bonheur personne n’est touché et le bruit n’alerte pas les environs. L’auteur de cet incident une vrai tête brûlée, causera plusieurs fois des soucis au groupe jusqu’à la Libération. Le 3 Septembre, les deux officiers parachutistes, le Français et l’Écossais reviennent à Francières remercier l’abbé Le Pévédic pour son aide apportée. Quelques jours plus tard le Français, lieutenant Hérenguel ( dit de Wavrant ) passe à la sucrerie chez les Benoit et déclare être dégoûté par les excès de l’épuration. Il s’engage aussitôt pour l’Indochine.

LES PARACHUTAGES

Ils ont lieu de nuit bien sûr, un message est diffusé sur Radio Londres, comme par exemple « le vent souffle les flambeaux » ce qui signifiait ce soir là qu’un parachutage allait avoir lieu au terrain de Moulin à douze kilomètres de là.  Le groupe se réunit alors au presbytère attendant le message radio, le seul qui ait vraiment de la valeur. Il faut alors se rendre sur le terrain quelque soit le temps, pour baliser le terrain et réceptionner les armes. On se rend en vélo avec l’arme personnelle attachée sur le cadre. Il faut pour s’y rendre traverser des routes gardées par des soldats ennemis. Parfois par manque de visibilité ou simplement parce que celui qui avait les lampes destinées au balisage s’est perdu en route, le largage est annulé. Une fois il fallu traverser un carrefour où stationnaient des camions allemands camouflés par des branchages. Pour les garder il y a deux soldats, l’un au milieu du carrefour, l’autre près des camions. L’abbé s’arrête : panne de vélo ! il demande à ses gars de continuer mais sans se presser. Ils longent alors les véhicules allemands pendant que lui continue à pied. Il est en uniforme de gendarme, tenue kaki d’été, sans doute raison pour laquelle lorsqu’il passe près d’une sentinelle celle-ci rectifie sa position et le salue réglementairement…

Une autre fois, par une nuit d’encre, le groupe se dirige vers un autre terrain de parachutage et pour cela doivent couper la grand route, mais un long convoi de véhicules allemand est à l’arrêt. Joseph part alors contre l’avis de ses hommes, seul, en rampant, pour tâter le terrain. De longues minutes plus tard un froissement leur apprend qu’il est de retour. « On peut se glisser entre les deux derniers véhicules leur dit-il, l’espace est un peu plus grand. Venez ça se passera bien, suivez-moi sans vous séparer, ni ralentir ». Tout le groupe passe ainsi en file indienne entre les deux derniers camions. Un soldat allemand est accoudé sur l’aile avant du dernier camion, le serre-file le heurte en passant, mais malgré sa grande frayeur il continue sa route sans courir. L’ Allemand bousculé et surpris ne réagira pas, il n’a  pas compris.

L’abbé se retourne un peu plus loin « vous voyez bien, tout s’est passé comme je vous l’avais dit » Il était d’une inconscience et d’une audace insolentes. Ses adjoints devaient avoir les nerfs solides et avoir en lui une confiance aveugle. Quand ils partaient en opération de nuit, les hommes emportaient avec eux une fiole d’alcool pour lutter contre le froid et le stress, plus un casse-croûte. L’abbé faisait toujours attention à respecter l’heure pour la période de jeûne précédant sa messe et communion du lendemain matin.

En fait sur six parachutages  prévus, seuls deux réussirent complètement. Un anglais et un américain. Malheureusement les armes récupérées lors d’un de ces parachutage furent vendues aux Allemands par celui qui en était responsable. Il le paya d’une balle dans la nuque sur ordre venu d’en haut. En 1950, l’abbé Le Pévédic se rend dans le Morbihan dans une ville pour une fête familiale et voit avec colère le nom du traitre inscrit sur le monument aux morts pour la France, le père de l’homme en question étant maire de la ville. Sur intervention du Comité de la Résistance, le nom sera retiré.

Deux témoins mentionnent également cette fois où l’abbé sollicite l’aide de quatre soldats allemands,  en échange de chocolat ils descendent d’une charrette de lourds colis. Ils ont la délicatesse de ne pas demander ce que ces colis contiennent. Comment l’abbé aurait-il pu leur expliquer que c’était là le fruit d’un parachutage.

 

 

Pistolet mitrailleur l'abbé Le Pévédic Marlin UD M 42

Pistolet Mitrailleur de François Le Pévédic. Il est aujourd’hui au musée de Tergnier dans l’Aisne

 

 

 

Libération de Francières

L’ATTAQUE DITE « DE LA MONTAGNE »

31 août 1944 à dix huit heures les Libérateurs arrivent, l’ordre est donné à Joseph de marcher sur Clermont avec son groupe et de prendre la ville. Contre ordre à vingt heures le groupe Joseph doit se porter sur Gournay et attaquer la colonne allemande.

Mais rassembler tout le monde n’est pas chose facile car les Allemands occupent Francières ainsi que Hémévillers et ils sont de mauvaise humeur, on les comprend. Ils contrôlent tout le monde et l’abbé est arrêté à trois reprises, après vérifications des papiers il est relâché « que voulez-vous Monsieur l’abbé, il y a beaucoup de terroristes par ici, Français pas corrects du tout » l’abbé approuve chaudement et continue son rassemblement. Mais comment arriver au presbytère où sont gardées toutes les armes alors que six camions sont stationnés à coté de l’église ? A une heure du matin le premier septembre, ils ne sont que dix-sept hommes. Distribution des armes, dernières recommandations, le groupe va se scinder en deux et rejoindre le lieu-dit la Montagne sur la route de Gournay. Là on doit attaquer tout convoi ennemi qui se présentera et pour éviter la casse, décrocher rapidement.

Ils arrivent sur place à trois heures du matin et se déplient en tirailleurs. Le groupe d’Estrées qui devait les épauler n’est pas là, tant pis ! Ils se débrouilleront tous seuls. Ceux de Moyenneville sont de l’autre coté de la route mais n’entendront pas l’ordre de Joseph. Deux autres groupes de Gournay et de Monchy qui n’ont pas pu être prévenus se sont dirigés vers un autre endroit.

Un des groupes est commandé par un ex-déporté récemment évadé de Royallieu. Joseph va en rampant avec René le réfractaire, poser des mines anti-pneus plus bas sur la route, près des ravins.

Deux camions se présentent la grenade n’atteint pas le premier mais un pneu ayant été détruit par une mine anti-pneus, son conducteur en perd le contrôle, quitte la route et se retourne, le deuxième camion lui est atteint par une grenade. Joseph donne alors le signal de l’attaque par une rafale de son pistolet mitrailleur qui fauche mortellement trois cyclistes qui précèdent un gros convoi. Toutes les armes arrosent alors le convoi ennemi. Au bout d’un certain temps les Allemands se ressaisissent et balancent des grenades, un des maquisards est atteint sérieusement. Le groupe de Joseph allonge le tir comme il le leur a demandé, puis c’est un coup de sifflet autoritaire qui retentit intimant l’ordre de repli immédiat. Raphaël Hue a tété blessé à la nuque. L’attaque a duré moins de 15 minutes, au moins quatre camions ont été détruits et selon un français réquisitionné qui suivait le convoi avec sa charrette, il y aurait près de trente morts coté Allemand. Sans doute ce chiffre doit être revu à la baisse, mais les dégâts sont très importants. Et le désarroi est tel que le convoi est immobilisé sur près de quatre kilomètres et sur deux voies pendant plus de trois heures. De plus quelques cyclistes qui ont réussi à passer à travers les balles ont donné l’alerte à Gournay où les soldats affolés mettent leurs armes en batterie et tirent en direction de la Montagne sur leurs propres frères d’armes. Joseph et ses hommes qui ont décroché regardent admiratifs les Allemands se tirer dessus entre eux.

Ce même jour à quatorze heures les Américains arrivent à Francières par la route nationale 17. La population en liesse les attend à la hauteur de la sucrerie. Le groupe Joseph est là bien sûr, avec un drapeau à croix de Lorraine, tous rangés derrière Monsieur le curé qui apparait enfin au grand jour. Beaucoup d’habitants de Francières découvrent alors surpris, le deuxième visage de leur curé.

Francières résistant

Groupe de résistants, allongé avec le fusil mitrailleur : Louis Levasseur

L’ATTAQUE DE FRANCIERES

Le lendemain 2 septembre, le groupe de Joseph est convoqué à Clermont où le chef de secteur les a convoqué. Ils prennent la route de Gournay sur Aronde pour des opérations de nettoyage : quelques Allemands doivent encore se trouver dans les bois de Francières. L’alerte est donnée à quinze heures, il y a là une cinquantaine de volontaires dépliés en éventail. Au coup de sifflet le groupe s’avance  vers l’Ouest pour la battue.

On entend bientôt une rafale d’arme automatique, le groupe vient de tomber sur un groupe de douze soldats allemands accroupis dans les taillis et pour les déloger Joseph a tiré dans leur direction. Ils sont équipés d’une mitrailleuse légère, de pistolets mitrailleurs et de fusils. Pour éviter l’encerclement ils gagnent les champs en rampant d’une façon qui fait l’admiration des maquisards. Le volontaire Maurice Plessier, un cheminot qui s’est replié avec sa famille à Francières, s’avance très rapidement pour leur couper la route, mais trop isolé il est fauché en plein front. Le sergent-chef Georges Guillot est blessé à l’épaule peu après.

Louis Levasseur le servant du groupe Joseph met alors son fusil mitrailleur en batterie et deux allemands tombent à leur tour. Les autres se replient vers Francières. L’abbé contourne les ruines du château pour les prendre à revers. D’une rafale de son pistolet mitrailleur il abat deux autres ennemis. Un autre est blessé mais refuse de se rendre, il ne le fera que le lendemain. Très maltraité par des résistants de la 25ème heure,   il répondra  « allez vous faire f…, je ne veux plus rien savoir » lorsqu’il sera contacté en 1999

Croix en souvenir de Maurice Plessier

                 Croix élevée en mémoire de Maurice Plessier mort pour la France

Après plusieurs années passées au cimetière de Francières,  les quatre soldats allemands reposent désormais  dans un cimetière militaire allemand sur le territoire français

Après Te Deum à Clermont

10 septembre 1944 à la sortie de l’église de Clermont, la troisième à droite est Madame de Baynast soeur du général Leclerc. A côté d’elle les abbés Dutriaux(main bandé) et Le Pévédic

L’après guerre

L’ÉPURATION ET LES LENDEMAINS QUI PARFOIS DÉCHANTENT

Le 3 septembre 1944, les FFI défilent jusqu’au monument aux morts. Stupéfaction des habitants de Francières et d’Hémévilers qui découvrent ébahis qu’un voisin, parfois même un frère ou un père en faisait partie. Alors que nous avons pu voir en d’autres endroits les résistants jouer au cow-boy même en présence de l’ennemi, ici c’était une grande discrétion, le cloisonnement total et surtout pas de petits carnets sur lesquels on inscrit des noms, des lieux de caches d’armes ou autre. Rien !

Le jour même ont lieu les premières arrestations de collabos. Commence une période de troubles, proche de l’hystérie, on voit des Allemands partout. D’authentiques résistants qui avaient caché leur jeu sont dénoncés, parfois même par des personnes qui n’ont pas été sans reproches, loin s’en faut. On règle des comptes et pas toujours à bon escient.

Plus tard l’abbé restera très discret sur cette période, comme d’ailleurs tous les derniers témoins. Un Comité Départemental de Libération est rapidement créé pour faire face à tous les excès et l’abbé en fait partie au titre des groupements confessionnels. Il se déplace avec une grosse serviette qui ne le quitte pas, toujours accompagné d’un communiste avec qui il travaille en binôme. Son rôle pondérateur et son souci de justice seront très utiles. Il est sans doute intervenu en faveur de son évêque Mgr Roeder, on reprochait à celui-ci alsacien et donc germanophone d’avoir eu parfois une attitude jugée ambigüe vis-à-vis de l’occupant. En fait il avait surtout dénoncé les dangers du bolchévisme ce qui était presque suicidaire en 1944.

Remise de la Légion d'Honneur

1952 l’abbé Le Pévédic reçoit la Légion d’Honneur des mains du chanoine Delmotte

Le 2 septembre 1945, les anciens résistants organisent une cérémonie commémorative de la Libération de Francières, ils défilent avec leurs pistolets-mitrailleurs, alors qu’ils sont officiellement désarmés depuis octobre 1944…

Jusqu’en Février 1946 l’abbé s’active pour faire condamner des collabos qui ont réussi à passer au travers des mailles du filet ou au contraire pour aider des personnes injustement inquiétées.

Le 15 novembre 1946, le CDL décide de ne plus accepter de plaintes. Il a alors examiné 200 cas différents, 22 personnes ont été acquittées, 2 seront condamnées à 20 ans de travaux forcés et il y aura 3 condamnations à mort, dont une seule sera exécutée.

La mairie est désormais dirigée par une nouvelle liste de gauche anticléricale.  A Francières c’est alors une ambiance Don Camillo contre  Pépone et une succession de vacheries qui feront bien rire l’abbé quarante ans plus tard. En 1945, le maire fait interdire les cérémonies religieuses en dehors du temple religieux. Alors pour la Fête-Dieu et la Pentecôte le curé fait sa procession en noir, c’est-à-dire sans ses vêtements cérémoniels, mais à chaque reposoir il y a une halte au cours de laquelle il ne manque pas de prêcher. Les plus virulents parmi le conseil municipal ont préféré s’absenter ce jour-là pour ne pas voir ça !

Diplome de résistant

En 1946 a lieu la réédification du calvaire à coté de la mairie. En raison de l’interdiction des fêtes religieuses, l’abbé Le Pévédic à l’idée de faire porter la croix par d’anciens prisonniers de guerre. Étant certain que le maire n’oserait pas intervenir, il en profite pour les accompagner vêtu de son surplis.  La municipalité décide comme mesure de rétorsion d’augmenter le loyer du presbytère, c’est alors que Mr le curé résidera uniquement au presbytère de Gournay il en prévient par lettre recommandée le maire de Francières qu’à partir du premier janvier 1947 il n’occupera plus le presbytère. Par plusieurs courriers la municipalité tentera de le faire revenir sur sa décision…sans succès.

Gournay sur Aronde

Église de Gournay-sur-Aronde (Oise)

La statue de Notre-Dame de Boulogne en son tour de France s’arrête sur la route nationale à la hauteur de la sucrerie qui est pour l’occasion entièrement décorée, mais la mairie  interdit l’utilisation des drapeaux tricolores aux anciens combattants.

10 janvier 1947 ND Boulogne à Francières

10 janvier 1947 La procession de Notre-Dame de Boulogne s’arrête à la sucrerie de Francières

En octobre 1947, une nouvelle municipalité est élue, les choses rentrent alors dans le calme et le respect qui perdurent encore aujourd’hui. Durant ses dernières années l’abbé donnera l’impression d’avoir une certaine nostalgie pour cette époque où sortir des coups tordus lui permettait d’exalter sa très forte personnalité.

Vient le moment de la reconnaissance : par décret du 7 juin 1952 (J.O. du 10 juin) François Le Pévédic est fait Chevalier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur, il reçoit aussi la Croix de Guerre avec palmes (3 citations), d’autres médailles suivront. Par contre, alors qu’autour de lui beaucoup de compagnons par forcément plus méritants seront élevés à des grades supérieurs dans l’Ordre de la Légion d’Honneur, il restera chevalier. Son entourage le presse de faire une réclamation et il commencera un brouillon de lettre adressée à Mr le Préfet, mais ce brouillon (je l’ai sous les yeux) ne sera jamais terminé. Il recevra aussi des témoignages de reconnaissance de la part des USA et du Royaume Uni.

Diplome Eisenhower

Hommage du Général Dwight Eisenhower à l’abbé François Le Pévédic

 

Le 27 Février 1945, il célèbre une messe d’adieu pour ses paroissiens, mais deux jours plus tard il n’est plus mobilisable.Il demandera à être aumônier militaire en Indochine où les indépendants communistes profitent de l’occupation japonaise pour se soulever. Il renouvellera plus tard sa demande pour être aumônier en Algérie sans plus de succès. Les deux demandes recevront un refus, il le regrettera et en conservera un certain ressentiment. Il ne semblait pas être en odeur de sainteté à l’évêché pourtant Monseigneur Roeder lui devait un peu de reconnaissance et même beaucoup, mais l’abbé semblait avoir surtout beaucoup de difficultés avec le vicaire général.

Alors il reprend avec ardeur son apostolat à Gournay, il s’intéresse aussi à la vie municipale, d’abord conseiller il est rapidement deuxième, puis premier adjoint, malgré une tentative du sous-préfet pour annuler cette dernière promotion. Il le restera jusqu’en 1959 puisqu’il ne se représente pas aux élections ayant été nommé curé de Crisolles quelques mois auparavant.De plus les autorités religieuses déconseillaient aux prêtres toute activité politique.

Mai 1950 communion

L’abbé ici à gauche en surplis, est revenu en Bretagne le 11 Mai 1950 pour assister à la confirmation de sa filleule à Noyal-Pontivy

 

 

L'abbé le Pévédic devant la grotte de Lourdes

l’Abbé Le Pévédic devant la grotte de Lourdes alors qu’il était curé de Gournay-sur-Aronde                Photo collection Yannick Gainche

Crisolles, dernières années

 

Colombey

Grand admirateur du Général De Gaulle, l’abbé le Pévédic aimait venir à Colombey les deux églises

En 1958 il est nommé curé de Crisolles où il restera jusqu’à son décès.  Il aura en plus la charge des paroisses de Genvry, Campagne, Bussy et Muyrancourt. Il reprend avec élan ses activités surtout auprès de la jeunesse, mais le contexte n’est plus le même : déchristianisation, télévision, révolution du monde rural, bouleversement liturgique de Vatican II, il accepte tout cela loyalement mais dans son cœur il n’y souscrit sans doute pas. Il aura pourtant le plaisir d’accompagner Gérard Binaut, un de « ses jeunes » originaire de Bussy jusqu’à la prêtrise. Un peu plus tard un de ses anciens militaires Jean François revêtira l’habit de moine au prieuré de la Croix sur Ourcq dans l’Aisne.  Car il est aussi aumônier militaire du Quartier Berniquet à Noyon, on le voit d’ailleurs le plus souvent vêtu de son uniforme d’aumônier. Il contestera cependant sa nomination à Crisolles, car elle incluait l’aumônerie comme « bénévole » ce qui le faisait vivre avec à peine 500 francs par mois.  Son ministère sera particulièrement actif  au plus fort de la Guerre d’Algérie avec les soldats qui partent et surtout ceux qui en reviennent. Plus tard il sera aussi aumônier de la Gendarmerie Nationale.

Les dernières années le verront vêtu d’un strict habit de clergyman.Il aura été le dernier curé de Crisolles, comme il avait déjà été le dernier curé de Francières

Noyon 1970 décorations

Noyon 1970 l’abbé Le Pévédic ( 2ème à droite ) reçoit la Croix du Combattant volontaire

Il lui arrive de retourner voir sa Bretagne et sa famille. S’étant pris de passion pour le cinéma amateur après la guerre, il filmera beaucoup de fêtes folkloriques en Bretagne, comme il le faisait à Gournay et à Crisolles pour les fêtes de la Moisson et autres. Ces films toujours muets ou presque, souvent en noir et blanc, sont de bonne facture. Confiés à la Cinémathèque de Bretagne après son décès par sa sœur , ils ont été nettoyés et on peut s’en procurer des copies sur DVD auprès de http://www.cinematheque-bretagne.fr

tonton françois Lourdes

Les Andelys  (Eure)    l’abbé François Le Pévédic célèbre le mariage d’une nièce

Au presbytère il y a toujours du monde, souvent des militaires, mais comme Mr le curé n’a pas le sou, c’est avec le produit du braconnage qu’il peut garnir la table, il n’hésite pas en effet à poser des collets dans les bois giboyeux des alentours.  Les repas ne sont pas tristes et souvent bien arrosés, se terminant parfois par une séance de tir au Pistolet Mitrailleur dans le fond du jardin.

Le Pévédic François dernière visite Francières

Quelques mois avant sa mort l’abbé fait une émouvante visite à « son » église de Francières

Il sera écarté de façon peu élégante de l’aumônerie de Noyon en juillet 81 ce qui provoquera une altercation très violente avec le responsable régional de l’aumônerie. Car quand l’abbé Le Pévédic élevait la voix, on l’entendait de très  loin.

Crisolles

Centre bourg de Crisolles dans l’Oise

A partir de 1980, son état physique se dégrade et pourtant il continue courageusement son ministère.

avec ses 3 soeurs

Le mariage d’une nièce en 1982 sera la dernière occasion pour réunir François et ses trois sœurs, de gauche à droite Anne-Marie « Marie »,  Marie-Joseph et Ambroisine   » Zizine « 

Début juin 1985, cela s’aggrave, il est très fatigué et doit parfois annuler des cérémonies. S’étant rendu dans une commune voisine pour un baptême il en rentre très affaibli. Le 9 juin son médecin ordonne son hospitalisation.

Le 17  sa sœur ainée de passage dans la région avec un neveu de l’abbé, fait un détour par Crisolles et c’est là qu’elle apprend que Mr le curé est très mal. Curieusement personne n’avait jugé bon prévenir la famille. Au cours de l’entretient avec le médecin de l’hôpital celui-ci laisse peu d’espoir. L’abbé Le Pévédic est encore parfaitement lucide. Au moment de se quitter on échange quelques phrases en breton ce qui illumine immédiatement son visage, il chantonne alors « Kenavo deoch, gwir vretoned » célèbre chant traditionnel breton composé par les abbés Le Dantec et Le Bayon au lendemain de la première guerre mondiale.

Il s’éteint doucement deux jours plus tard, le 21 juin 1985, jour de ses 73 ans.

Avis mortuaire résistants Oise

Avis mortuaire de François Le Pévédic

Les autorités ayant refusé que la cérémonie se déroule en la Cathédrale de Noyon, les obsèques sont célébrées le 27 juin à Crisolles. Ce furent des obsèques militaires organisées par le Colonel commandant le 8ème Régiment d’Infanterie de Noyon. L’église était trop petite pour contenir toute l’assistance : en plus des autorités civiles et militaires, il y a là ses amis de la Résistance et des représentants des différentes paroisses. Sa sœur Marie qui l’avait épaulé à Francières au début de son ministère a pu faire le voyage avec son mari et ses enfants.

L’homélie est prononcée par le père Cardot, tandis que le sénateur Amédée Bouquerel président d’honneur du mouvement Résistance pour le département de l’Oise fera l’éloge funèbre de son ami l’abbé Le Pévédic, rappelant les vers de Victor Hugo « Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie »

Le Pévédic François Obsèques à Crisolles 27 juin 1985

28 juin 1985 au matin, le Père Le Pévédic prend une dernière fois le chemin de la Bretagne

Le corps sera veillé jusque quatre heures du matin, puis le cercueil escorté par ses anciens camarades et de nombreux drapeaux, est hissé dans un camion militaire et transporté jusque Grand Champ dans son Morbihan natal où après une émouvante cérémonie religieuse à laquelle assiste toute sa famille, il est inhumé auprès de ses parents dans le caveau des familles Le Pévédic-Le Corre-Oliviéro. Ce caveau se trouve dans l’ allée principale du cimetière de Grandchamp, la huitième tombe du coté droit (tombe 288 Carré D).

EPILOGUE

En 2000 l’aviateur américain David Helsel revient avec sa famille à Francières faire un pèlerinage sur le lieu de crash et aussi pour retrouver ceux qui l’ont aider à l’époque. La commune de Francières organise une grande fête

francières retour aviateur avec De Brouwer et Leviel

David Helsel au centre, avec De Brouwer à gauche et Leviel à droite. Tous trois se cachèrent au presbytère et dans l’église de Francières

A  l’initiative d’un groupe d’anciens compagnons en particulier du docteur Michel Varoqueaux et du Souvenir Français, la municipalité de Francières décide de rendre hommage à l’abbé Le Pévédic lors d’une cérémonie commémorative le 26 septembre 2004.  Plusieurs neveux et nièces font le voyage. Ses deux sœurs encore en vie auraient aimé être là, mais elles se sentent fatiguées pour un long voyage en Picardie.

Plaque eglise Francières

Plaque commémorative sur le mur de l’église de Francières

Ce fut une très belle journée. Après une messe au cours de laquelle un père Canadien fit une émouvante homélie, on distribua du pain béni (sorte de quatre-quarts) à la sortie de l’église, puis le sous-préfet de Compiègne dévoile une plaque apposée sur le mur de l’église rappelant aux habitants de Francières qui fut leur valeureux pasteur.

Ensuite le sous-préfet rend hommage au prêtre et au combattant dans un court mais vibrant discours. Puis c’est au tour d’un ancien compagnon de l’abbé, Roger De Brouwer, trésorier du Souvenir français, celui-là même qui avait assisté depuis le grenier de l’église à ses propres obsèques, de  relater ses faits d’armes.

Cette intervention fut particulièrement remarquée par la précision de l’intervenant qui n’avait  aucune note avec lui.  Après quoi la foule se rendit au monument aux morts à la suite des autorités et de 18 porte-drapeaux, pour un hommage à tous les Francisiens (habitants de Francières) qui ont combattu pour la liberté  au cours des différents conflits.

Les assistants vécurent un moment très émouvant lors de l’interprétation du chant des partisans par les enfants de la commune.

Comme toujours, la cérémonie se termina par un vin d’honneur offert par la municipalité dans la salle polyvalente.

Mlle Fleury

France-Raphaële Fleury fille de Georges Fleury, recherchée par la Gestapo,  elle fut cachée par l’abbé Le Pévédic, dans le grenier de l’église avec son papa et son frère. Elle est décédée le 16 octobre 2013       En arrière-plan : Roger De Brouwer

Plusieurs anciens compagnons rencontrés ce jour-là affirmeront  » l’abbé Le Pévédic fut un exemple pour moi ! « 

Monument aux morts Francières

Monument aux morts de Francières    A droite  de profil, le docteur Michel Varoqueaux , un des artisans de l’hommage à l’abbé Le Pévédic et qui perpétue encore sa mémoire. Il lui avait fallu plus de cinq ans pour gagner la confiance de l’abbé, mais ensuite ce fut du « solide » entre eux deux.   Il est aussi avec Joel Hiquebrand à l’origine du sauvetage du site de la sucrerie devenue aujourd’hui un musée.   Michel Varoqueaux est décédé le 15 mars 2018

Cette journée fut filmée et mise en vidéo par Monsieur Serge Desseaux du Souvenir Français. Vous pouvez la consulter en cliquant ci-dessus

Aujourd’hui encore sa famille se demande que sont devenues ses archives ? Lorsque les sœurs de l’abbé se rendent à Crisolles le 2 Juillet, le vide a été fait. On leur apprend que deux émissaires de l’évêché se sont présentés au presbytère à peine eurent-ils connaissance du décès de Mr le curé (ce que l’évêché niera farouchement). Ils en ressortent avec plusieurs cartons qui, affirment-ils sont propriété de l’évêché. La gouvernante seule présente sur place n’ose s’y opposer.

Ses classeurs, livres divers, archives et notes concernant l’épuration et la résistance ont disparu. L’abbé n’était pas riche loin s’en faut, mais aucune trace d’argent ni même de compte en banque, ce qui est surprenant. Un magnifique service en porcelaine offert par la famille Benoit a disparu lui aussi. Même certains documents familiaux de l’abbé ne seront remis à sa famille que plusieurs mois plus tard. Si sa légion d’honneur avait été déposée dans une chapelle, les autres décorations ont aussi disparu. Les trois sœurs commencent à comprendre pourquoi on les avait dissuadées de venir aux obsèques à Crisolles…

Seuls quelques livres qui se trouvaient derrière un rideau ont échappé au pillage.

Son pistolet mitrailleur sera découvert…sous son lit ! Il est aujourd’hui exposé au musée de la Résistance de la Picardie à Tergnier dans l’Aisne.

François-Marie Le Pévédic avait coutume de dire que ses initiales FMLP voulaient dire « Fichez-moi la paix »  il repose aujourd’hui dans la paix du Seigneur après une vie bien remplie au service de l’Eglise et de son Pays comme il aimait le répéter. S’inspirant de la devise bretonne « Doué ha mem Bro » ( Dieu et mon Pays )

Au mois de Juin de l’année 2022, à l’initiative de Francis Vangrevelinghe et de Jean Etienne Lefin vice président de l’ Amicale, un groupe d’anciens soldats du 16eme Régiments de Dragons et du 7eme Régiment de Cuirassiers de Noyon se sont rendus au cimetière de Grandchamp afin de déposer une plaque commémorative sur la tombe de leur ancien aumônier.

Grandchamp tombe Le Pevedic-Le Corre